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romaingermain

21 août 2007

Casse-tête chinois (2)

Il y a un homme mort dans une baleine échouée sur la plage. Il est sino-thaïlandais, commercial du groupe industriel CP. Il est aussi petit qu’un fanon sur un autre, et pourrit en chien de fusil sous la langue de la baleine, par les yeux de laquelle des crabes viennent lui croquer le bout des doigts.

Trois chinois marchent pieds nus (pour ne pas faire de bruit en écrasant les coquillages) par la plage. Ils avancent vite, dans la même trace. On est tout près de la pointe du Raz, sur la presqu’île de Guénolé. La lande s’étend à perte de vue, déserte. Quelques buissons sont dédiés aux escargots, qui prennent la place des feuilles et se font briller réciproquement.

Un bateau repère la baleine et accoste. Il y a maman, Victor, Cédric, Paul et Lamia. Ils plantent une tente dans le sable pour se protéger du vent, après avoir caressé la baleine morte, aussi grosse qu’un blockhaus allemand, et aussi rugueuse. Puis ils s’éloignent, car la baleine sent trop mauvais. Cédric enterre Victor jusqu’au cou, de l’autre côté de la baleine, et lui tape sur le front avec la pelle. Maman crie.

Les trois Chinois trouvent la baleine. Ils sortent une scie tournante pour découper des galettes dans la chair du mastodonte. Mais lorsqu’une galette de baleine lui tombe sur la tête, écrasant un ou deux crabes qui s’étaient juchés sur son nez, le sino-thaïlandais se réveille. Il regarde par le trou, pâlit à la vue des Chinois, et s’enfuit par les intestins de la baleine.

Il nage, puis sort à l’endroit où sont restés Cédric et la tête de Victor, lorsque Maman est allée se baigner avec Paul et Lamia. Il creuse aussi vite qu’il peut un trou dans le sable pour s’y enterrer. Quand les Chinois le découvrent avec la scie sauteuse, sa tête dépasse encore du sable, à côté de celle Victor. Ils lui scient la tête.

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21 août 2007

(1)

Charlie

Je m’étais perdu un peu après Chaumont-sur-Loire. Quelques moustiques remontaient du fleuve dont je sentais l’humidité. Si le soleil tombait à l’horizon, du noir apparaissait de l’autre côté, et je n’avais pas encore trouvé de quoi planter la tente. Le chemin du GR rentrait dans la forêt avec des recoins sombres. Je me rapprochais d’une route.

-          J’en ai marre je ne trouve pas Chaumont-sur-Loire.

Charlie était un grand type avec de gros sourcils pointus. Son père était ébéniste, qui était mort avant sa naissance dans un accident, au pied d’un arbre. Sa mère emmenait Charlie dans la forêt, il traînait des pieds, mais comme il faut bien se choisir quelques goûts, il avait fini par piocher celui-ci.

-          C’est par là.

J’avais un peu peur, avec la tente et les moustiques. J’avançais et puis on s’est retournés tous les deux et puis on s’est retrouvés à sauter dans les jardins du château. Il y avait de grands jets d’eau, et moi qui avais marché longtemps, les pieds dans la mer, dans les fleuves et dans le sable, l’eau arrivait dans la nuit sans crier gare et c’est nous qui criions. Ce qu’il y avait aussi, c’est de grandes tiges noires et des drapeaux de métal, des dahlias bleus. On s’est tout de suite embrassés, avec l’eau qui coulait on ne pouvait pas résister on avait soif.

Le lendemain quand on a cueilli les fruits je l’ai porté sur mes épaules et j’ai remarqué la boue en bas de son pantalon. Je baissai les yeux et j’en avais aussi, j’aimais bien. Il disait :

-          A droite. A gauche. Non, plus en avant.

J’obéissais, jusqu’à ce qu’il me passe les fruits dans la main. Après il voulut échanger, il s’énerva parce que je refusais, il me tira les cheveux, et fut surpris de voir que j’en avais des blancs. Après il s’interrompit quand on faisait l’amour pour me dire :

-          Qui veut aller loin ménage sa monture.

Mais il disparut.

- C’est soit les boules quies, soit moi !

Je ne peux travailler qu’à deux conditions : avec des boules quies et une bouteille d’eau, que je considère comme le carburant du travail par excellence. Et j’aime bien regarder les particules de calcaire flotter. Malheureusement, mon travail m’impose la sociabilité, non que je ne sois pas sociable, mais avec les boules quies, les gens, ce n’est pas pratique.

-          C’est soit les boules quies, soit moi !

Ca, c’est le code pour que j’enlève les boules quies, et c’est rigolo, parce que je ne l’entends jamais. Je vois seulement les gens qui disent

-          C’est soit les boules quies, soit moi !

avec des moues de cigogne ou de confit d’oignon. J’enlève les boules, et Sabine me demande :

-          C’est toi sur le dossier Pennaroya ? On a quatre containers en rade.

-          Alors j’envoie des camions.

Avec marmiton.org, j’ai pu savoir comment on faisait du confit d’oignon. Mais le confit d’oignon, c’est simple, le secret c’est qu’il ne faut surtout pas en manger. Il y a beaucoup de recettes comme le confit d’oignon sur marmiton.org. Ce jour-là l’automate à bouteilles d’eau tombe en panne, je ne peux plus boire ni flotter. Et le lendemain les camions n’étaient toujours pas arrivés. Le surlendemain non plus, et dans la cour, la land rover du boss cessait de rutiler à l’ombre des quatre gigantesques containers rouille – si bien qu’au fur et à mesure des jours qui passaient, ils devenaient de plus en plus gigantesques et de plus en plus rouille.

La machine était toujours en panne. Le boss m’a fait appeler dans son bureau, j’ai enlevé les boules quies car il ne connaît pas le code :

-          C’est soit les camions, soit moi !

Le midi-même, je fonce au Monoprix faire une réserve de bouteille d’eau, et je bois tant que je suis prêt pour une coloscopie. Je passe tous les coups de fil, j’engueule à qui mieux mieux, je tambourine (gentiment) sur la vitre. Tout va être réglé cette nuit.

Le soir, je suis allé donner un gros coup de pied dans les containers :

- Dégagez ! On ne veut plus de vous ici !

Je leur redonnai un gros coup de tête, je m’assommai et lorsque Sabine me réveille le lendemain matin avec une paire de gifles, il fait toujours aussi sombre sous les containers. Il faut que je cherche un nouveau boulot.

Les pectoraux de Samir

Samir a de gros pectoraux qu’il soigne comme la prunelle de ses yeux. Ce sont des pectoraux très honorables, qu’on peut prendre à pleine main, et qui gonflent avec le froid. Leurs tétons sont pointus au milieu de grandes aréoles. Il arrache les poils qui poussent pour garder la peau très glabre.

Dans le jacuzzi de la piscine Pailleron, il attrape les potes par la nuque, il leur met la nuque sous l’eau. M. Moquet, un peu chauve et assis plus loin, les observe. Samir voit qu’il a la trique à travers l’eau et se met le jet d’eau du jacuzzi sur le ventre, les pectoraux posés sur le rebord.

On peut les prendre à pleine bouche, et lorsque je mets Samir au tatami son kimono s’ouvre et je les effleure.

Pour avoir ces gros pectoraux, Samir m’a montré ses techniques de musculation. J’ai bien compris : la principale technique, c’est la lourdeur des poids. Plus c’est gros, plus c’est gros.

J’aime bien jouer sur le rebord de la piscine avec Samir, ou nager derrière lui, quand il écarte les jambes j’aperçois tous les rebonds de son corps. Sous la douche, pour faire tomber les gouttes il se secoue et ses pectoraux s’agitent avec les abdominaux et les biceps, et il bande un peu, je bande aussi. On rigole.

Quand on se charrie on se saute un peu dessus, devant les potes. Pour sortir on se met du gel et on pécho les moeufs à la terrasse du café de Mourad, le jour du couscous. Si elle a un sac on lui propose de lui porter, si elle a des boucles d’oreille :

-          Mademoiselle elles sont belles tes boucles d’oreille.

Après on dit :

-          Elle est bonne.

Samir soigne ses pectoraux. L’autre jour à la fête de la musique on est allés voir les pédés danser sur les voitures rue du Temple. On s’était mis torses nus et ils nous regardaient tous avec envie, les enculés.

- C’est soit les boules quies, soit moi !

Sabine me fait la courte échelle et casse son talon. Elle rit, ses fausses perles s’agitent sur sa gorge. J’escalade les containers un à un, jusqu’à me retrouver tout en haut. Là, je vois les seins de Sabine et je saute sur la land rover du boss.

Le lendemain, Libération publie un article sur un cinquième suicide à PSA Citroën, et les places boursières s’effondrent. Mais je ne suis pas mort ! Dans ma poche de perfusion, je vois du serum flotter.

Il est mort

Ce matin, en prenant le métro, il est à la même place que d’habitude, mais il ne bouge plus. Il gémit. Elle ne passe pas à côté de lui comme toutes les autres fois, puisqu’il gémit :

-          Vous avez besoin d’aide ?

Elle répète :

-          Vous avez besoin d’aide ?

-          Aïe…

-          Vous avez besoin d’aide, monsieur ?

Un autre homme s’approche, un cadre avec une chemise à carreaux et des chaussures à bouts pointus :

-          Il faut l’aider à marcher.

Il leur raconte sa vie. Elle suffoque tant il pue la pisse et la chiasse. Son pied est rouge comme un macaron fraise. Il revient de l’hôpital dont on l’a viré parce que l’assistance publique ne pouvait pas l’assister. Il tombe quand il marche. Il a seulement trente-sept ans, une gangrène couperosée lui grimpe le mollet depuis qu’on l’a viré de son appartement. C’était dans la rue de son enfance. Il avait fait des études jusqu’à la licence de lettres classiques, il était coupeur de page, elle ne comprend pas tout. Il avait toute sa tête dans un corps détruit. Il ne buvait pas.

On a fini nos crêpes et Muriel son histoire.

-          Pourquoi tu ne milites pas ?

-          C’est ce que je fais tous les jours au boulot.

Elle est avocate pour les sans papiers.

-          Ca ne va pas s’arranger dans les cinq ans qui viennent.

Quelques mois plus tard il dort sur une bouche d’aération. C’est vers la fin de l’été, il y a eu beaucoup de morts. Elle a décidé de faire des gardes juridiques pour les sdf. Puis lui a disparu, il y avait une sirène de camion de pompiers un mercredi, et un grand jeune homme blond attendait sous l’abribus. La sirène du premier mercredi du mois hurlait aussi. Dans le long couloir au tapis rouge de la bibliothèque, j’entends des frissonnements quand des gens que je ne connais pas passent à mes côtés :

-          Il est mort.

-          Il n’est pas mort.

Trois mois plus tard, Vincent m’annonce une bonne nouvelle, qu’il est de nouveau là, tout propre et tout souriant, enfin pas tout à fait non plus, avec des vêtements neufs.

-          Il a dû passer trois mois en institution.

Pourquoi ne lui demanderait-il pas ?

Il est mort

Le réveil a sonné longtemps ce matin-là. C’était un matin de vacances, on avait fermé complètement les volets. Elle s’est réveillée sans faire de bruit, elle s’est frottée les yeux et les oreilles, elle a tiré doucement sur les bras.

Maman n’allait pas bien du tout. Elle me dit :

-          Elle a entendu un soupir, mais est-ce que c’était vraiment un soupir, est-ce qu’il n’était pas déjà mort ?

Il lâche un soupir. Elle se retourne et l’appelle. Elle le secoue. Elle écoute son pouls. Elle lui fait un massage cardiaque. Elle avertit les pompiers, et les attend. Elle continue le massage cardiaque.

Le réveil a sonné longtemps ce matin-là et tous ceux qui ont suivi. Elle se retournait et l’appelait. Je me souviens d’avoir entendu longtemps le message de la marraine de maman, sur le répondeur :

-          Marcel ne bouge plus, je ne sais pas quoi faire, j’ai appelé les pompiers, il ne répond plus quand je l’appelle.

C’était un matin de vacances.

Quand j’étais venu, il était à droite de l’entrée, sur le lit, les yeux fermés et un bandeau sous la mâchoire. Lorsqu’on était mort, j’appris que les yeux s’ouvraient et que la mâchoire tombait. J’ai pleuré de frayeur, je préférais mourir dans le noir et crispé. J’ai calculé : elle a cinquante ans, ça lui fait vingt-cinq ans avec lui, et au moins vingt-cinq ans sans. Il ne faudra plus jamais fermer complètement les volets.

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